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Pas de privation d’aides pour les entreprises liées à des paradis fiscaux ? Ne pleurez pas, c’était pour faire joli
"Si votre siège social est implanté dans un paradis fiscal, il est évident que vous ne pouvez pas bénéficier du soutien public", avait assuré Bruno Le Maire.
LUDOVIC MARIN / POOL/EPA/Newscom/MaxPPP

Pas de privation d’aides pour les entreprises liées à des paradis fiscaux ? Ne pleurez pas, c’était pour faire joli

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Ce jeudi 23 avril, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, annonçait fièrement sur franceinfo que les entreprises liées de près ou de loin avec des paradis fiscaux ne bénéficieraient pas des aides de l’Etat pour se relancer après la pandémie de Covid-19. Une mesure supprimée de la loi adoptée... et qui n'aurait eu qu'une efficacité limitée.

Une mesure en carton-pâte. Ce jeudi 23 avril, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, annonçait fièrement sur franceinfo que les entreprises liées de près ou de loin avec des paradis fiscaux ne bénéficieraient pas des aides de l’Etat pour se relancer après la pandémie de Covid-19. Un imbroglio au Parlement plus tard, la mesure a finalement disparu du projet de loi de finances rectificative adopté l’après-midi. On ne la regrettera pas cependant, car ses conditions d’application la ravalaient au rang de simple coup de com’ gouvernemental, purement cosmétique.

Rembobinons. Jeudi matin, Bruno Le Maire, chantre d’un nouveau capitalisme immaculé, pavoisait à la radio publique. "Il va de soi que si une entreprise a son siège fiscal ou des filiales dans un paradis fiscal, je veux le dire avec beaucoup de force, elle ne pourra pas bénéficier des aides de trésorerie de l'Etat", déclarait-il, assurant que la France allait suivre l’exemple danois. Et d’insister : "Il y a des règles qu'il faut respecter. Si vous avez bénéficié de la trésorerie de l'Etat, vous ne pouvez pas verser de dividendes et vous ne pouvez pas racheter des actions. (...) Si votre siège social est implanté dans un paradis fiscal, il est évident que vous ne pouvez pas bénéficier du soutien public."

Un amendement "marginal"

Une annonce surprise, à rebours de la position adoptée la veille par le gouvernement lors de l’examen au Sénat du projet de loi de finances rectificative organisant le plan de sauvetage de l’économie française. L’amendement de la sénatrice Nathalie Goulet proposant de "priver toute entreprise enregistrée dans un paradis fiscal du bénéfice des mesures d’aide de l’état d’urgence sanitaire" avait en effet reçu un avis défavorable du secrétaire d’État auprès du Ministre de l’Action et des Comptes Publics, Olivier Dussopt. "Ces amendements ont une portée extrêmement limitée (...) en outre (ils) risqueraient de créer la confusion pour les entreprises éligibles au dispositif" avait fait valoir l’ancien socialiste.

Dernier épisode de ce drame en trois actes : lors de la commission mixte paritaire (CMP) lors de laquelle députés et sénateurs ont accordé leurs violons sur la rédaction finale du projet de loi de finances rectificative, la disposition vantée le matin même par Bruno Le Maire a été tout bonnement supprimée. "Cet amendement a été considéré comme marginal car les aides concernent largement les TPE qui n’ont pas de filiales" expliquait à Public Sénat Vincent Éblé, président socialiste de la commission des Finances de la chambre haute. "C’est assez incompréhensible, la méthode est surprenante. J’ai tendance à penser que les annonces se font à la télévision plutôt que devant le Parlement. Mais il aura un nouveau projet de loi de finances rectificative et nous reviendrons à la charge", commente Nathalie Goulet auprès de nos confrères.

Une liste "à côté de la cible"

Entre temps, peut-être faudrait-il également réviser la liste des pays considérés par la France comme des paradis fiscaux : cette dernière est en effet tellement étriquée que la mesure de privation d’aide, même adoptée, aurait été purement symbolique. L’ONG Oxfam ne s’était d’ailleurs pas privée de le faire remarquer, dénonçant dans un communiqué une proposition "s'appu[yant] sur une liste de paradis fiscaux quasiment vide". Aujourd’hui, la liste française des paradis fiscaux comporte 13 pays depuis début janvier, contre sept auparavant. Il s'agit d'Anguilla, les Bahamas, le Botswana, Brunei, le Guatemala, les îles Marshall, les îles Vierges, Nauru, Niue, le Panama et les Seychelles.

"Les critères français et européens sont ainsi faits que les pays membres sont automatiquement exemptés, ce qui explique l'absence de l'Irlande, des Pays-Bas, de Malte, de Chypre et du Luxembourg", expliquait à Marianne le porte-parole de l'ONG Oxfam sur les questions d'évasion fiscale, Quentin Parrinello, lors de la mise à jour de la fameuse liste en janvier. Oxfam rappelle ainsi que de nombreuses "multinationales délocalisent leurs bénéfices au Luxembourg ou aux Pays-Bas", citant comme exemple l'alliance Renault-Nissan dont la résidence est localisée à... Amsterdam.

D’autres gros poissons échappent aux mailles françaises, expliquait Quentin Parrinello, "comme la Suisse, qui conserve une fiscalité très incitative pour les entreprises, l'Etat américain du Delaware, Singapour, Hong-Kong, ou encore l'île Maurice". "En matière de volume financier concerné par l'évasion fiscale, cette liste vise complètement à côté de la cible : en 2016, Oxfam avait recensé 1.454 filiales d'entreprises du CAC 40 déclarées – et ce n'est donc que la partie émergée de l'iceberg – dans des paradis fiscaux. Celles qui étaient enregistrées dans les 13 micro-pays figurant sur la liste noire publiée aujourd'hui n'en représentent même pas 1 %", concluait-il.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne